Poèmes des Anciens
Ghazel...Poème des Anciens...Théophile Gautier.
Ghazel
Dans le bain, sur les dalles,
À mon pied négligent
J'aime à voir des sandales
De cuir jaune et d'argent.
En quittant ma baignoire,
Il me plaît qu'une noire
Fasse mordre à l'ivoire
Mes cheveux, manteau brun,
Et, versant l'eau de rose
Sur mon sein qu'elle arrose,
Comme l'aube et la rose,
Mêle perle et parfum.
J'aime aussi l'odeur fine
De la fleur des Houris,
Sur un plat de la Chine
Des sorbets d'ambre gris,
L'opium, ciel liquide,
Poison doux et perfide,
Qui remplit l'âme vide
D'un bonheur étoilé ;
Et, sur l'eau qui réplique,
Un doux bruit de musique
S'échappant d'un caïque
De falots constellés.
J'aime un fez écarlate
De sequins bruissant,
Où partout l'or éclate,
Où reluit le croissant.
L'arbre en fleur où se pose
L'oiseau cher à la rose,
La fontaine où l'eau cause,
Tout me plaît tour à tour ;
Mais, au ciel et sur terre,
Le trésor que préfère
Mon cœur jeune et sincère,
C'est amour pour amour !
Théophile Gautier.
Ce que disent les hirondelles (Chanson d'automne)...Poèmes des Anciens.
Ce que disent les hirondelles
(Chanson d'automne)
Déjà plus d'une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis ;
Soir et matin, la brise est fraîche,
Hélas ! les beaux jours sont finis !
On voit s'ouvrir les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor :
Le dahlia met sa cocarde
Et le souci sa toque d'or.
La pluie au bassin fait des bulles ;
Les hirondelles sur le toit
Tiennent des conciliabules :
Voici l'hiver, voici le froid !
Elles s'assemblent par centaines,
Se concertant pour le départ.
L'une dit : " Oh ! que dans Athènes
Il fait bon sur le vieux rempart !
" Tous les ans j'y vais et je niche
Aux métopes du Parthénon.
Mon nid bouche dans la corniche
Le trou d'un boulet de canon. "
L autre : " J'ai ma petite chambre
A Smyrne, au plafond d'un café.
Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre
Sur le seuil d'un rayon chauffé.
" J'entre et je sors, accoutumée
Aux blondes vapeurs des chibouchs,
Et parmi les flots de fumée,
Je rase turbans et tarbouchs. "
Celle-ci : " J'habite un triglyphe
Au fronton d'un temple, à Balbeck.
Je m'y suspends avec ma grille
Sur mes petits au large bec. "
Celle-là : " Voici mon adresse :
Rhodes, palais des chevaliers ;
Chaque hiver, ma tente s'y dresse
Au chapiteau des noirs piliers. "
La cinquième : " Je ferai halte,
Car l'âge m'alourdit un peu,
Aux blanches terrasses de Malte,
Entre l'eau bleue et le ciel bleu. "
La sixième : " Qu'on est à l'aise
Au Caire, en haut des minarets !
J'empâte un ornement de glaise,
Et mes quartiers d'hiver sont prêts. "
" A la seconde cataracte,
Fait la dernière, j'ai mon nid ;
J'en ai noté la place exacte,
Dans le pschent d'un roi de granit. "
Toutes : " Demain combien de lieues
Auront filé sous notre essaim,
Plaines brunes, pics blancs, mers bleues
Brodant d'écume leur bassin ! "
Avec cris et battements d'ailes,
Sur la moulure aux bords étroits,
Ainsi jasent les hirondelles,
Voyant venir la rouille aux bois.
Je comprends tout ce qu'elles disent,
Car le poète est un oiseau ;
Mais, captif ses élans se brisent
Contre un invisible réseau !
Des ailes ! des ailes ! des ailes !
Comme dans le chant de Ruckert,
Pour voler, là-bas avec elles
Au soleil d'or, au printemps vert !
(Théophile GAUTIER 1811-1872)
Les hirondelles sont parties ...poèmes des Anciens ...de Victor Hugo...
Les hirondelles sont parties...
Les hirondelles sont parties.
Le brin d'herbe a froid sur les toits ;
Il pleut sur les touffes d'orties.
Bon bûcheron, coupe du bois.
Les hirondelles sont parties.
L'air est dur, le logis est bon.
Il pleut sur les touffes d'orties.
Bon charbonnier, fais du charbon.
Les hirondelles sont parties.
L’été fuit à pas inégaux ;
Il pleut sur les touffes d'orties.
Bon fagotier, fais des fagots.
Les hirondelles sont parties.
Bonjour, hiver ! bonsoir, ciel bleu !
Il pleut sur les touffes d'orties.
Vous qui mourez, faites du feu.
Victor Hugo
Symphonie en blanc majeur ...Théophile Gautier...poème des Anciens.
Symphonie en blanc majeur
De leur col blanc courbant les lignes,
On voit dans les contes du Nord,
Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes
Nager en chantant près du bord,
Ou, suspendant à quelque branche
Le plumage qui les revêt,
Faire luire leur peau plus blanche
Que la neige de leur duvet.
De ces femmes il en est une,
Qui chez nous descend quelquefois,
Blanche comme le clair de lune
Sur les glaciers dans les cieux froids ;
Conviant la vue enivrée
De sa boréale fraîcheur
A des régals de chair nacrée,
A des débauches de blancheur !
Son sein, neige moulée en globe,
Contre les camélias blancs
Et le blanc satin de sa robe
Soutient des combats insolents.
Dans ces grandes batailles blanches,
Satins et fleurs ont le dessous,
Et, sans demander leurs revanches,
Jaunissent comme des jaloux.
Sur les blancheurs de son épaule,
Paros au grain éblouissant,
Comme dans une nuit du pôle,
Un givre invisible descend.
De quel mica de neige vierge,
De quelle moelle de roseau,
De quelle hostie et de quel cierge
A-t-on fait le blanc de sa peau ?
A-t-on pris la goutte lactée
Tachant l'azur du ciel d'hiver,
Le lis à la pulpe argentée,
La blanche écume de la mer ;
Le marbre blanc, chair froide et pâle,
Où vivent les divinités ;
L'argent mat, la laiteuse opale
Qu'irisent de vagues clartés ;
L'ivoire, où ses mains ont des ailes,
Et, comme des papillons blancs,
Sur la pointe des notes frêles
Suspendent leurs baisers tremblants ;
L'hermine vierge de souillure,
Qui pour abriter leurs frissons,
Ouate de sa blanche fourrure
Les épaules et les blasons ;
Le vif-argent aux fleurs fantasques
Dont les vitraux sont ramagés ;
Les blanches dentelles des vasques,
Pleurs de l'ondine en l'air figés ;
L'aubépine de mai qui plie
Sous les blancs frimas de ses fleurs ;
L'albâtre où la mélancolie
Aime à retrouver ses pâleurs ;
Le duvet blanc de la colombe,
Neigeant sur les toits du manoir,
Et la stalactite qui tombe,
Larme blanche de l'antre noir ?
Des Groenlands et des Norvèges
Vient-elle avec Séraphita ?
Est-ce la Madone des neiges,
Un sphinx blanc que l'hiver sculpta,
Sphinx enterré par l'avalanche,
Gardien des glaciers étoilés,
Et qui, sous sa poitrine blanche,
Cache de blancs secrets gelés ?
Sous la glace où calme il repose,
Oh ! qui pourra fondre ce coeur !
Oh ! qui pourra mettre un ton rose
Dans cette implacable blancheur !
Théophile Gautier